Une promenade à Mauzun

C’était dimanche après-midi et le printemps était gris, plongé dans la tristesse d’un nouveau confinement où nul n’allait sans masque, et un an avait pu passer sans que nous ayons risqué de nous engager loin comme le loup sort du bois. En contournant Billom, nous nous étions garés à l’orée de Mauzun, un peu avant l’église où nous étions entrés puisqu’elle était déserte, offerte sans engagement. Ni plus ni moins dévots que peut l’être un Zemmour qui prend la France à coeur, nous nous sommes habitués à penser librement.

Puis, à pied, nous étions partis au travers d’un village qui se souvient encore d’avoir été un bourg avec halle et marché, quelque chose comme une ville à vocation locale. Vu d’une certaine façon, Mauzun, c’est Pompéi, un Pompéi sans drame au pays des volcans éteints où le temps a passé ni plus ni moins qu’à Naples.

Sous ses hautes ruines du Moyen Age qu’on peut voir depuis l’horizon, les maisons de Mauzun s’offrent à nous en silence et les anciennes boutiques, merceries graineteries sont fermées comme pour jouir d’un trop long dimanche. Une grille d’avant quatorze tord ses barreaux forgés à l’entrée d’un verger renvoyé à la ronce, et on voit en retrait des rues de surprenants manoirs laissés en héritage par un riche colporteur, un puissant maquignon ou on ne sait quel planteur revenu des colonies. Car il n’est pas certain, au moment où s’alignent ces lignes, que les conquêtes coloniales aient valu plus de jouissance aux défunts colonisateurs qu’aux décolonisés noyés dans la débauche de leur surpeuplement.

Du côté de Mauzun, un monde de Jules Ferry refait surface pour nous par la grâce d’une épidémie qui désencombre les routes et les aéroports. Il réduit nos parcours vers des bourgs oubliés. Près du mur d’une propriété percé d’une humble porte, une mare nous apparaît, transparente comme un lac des cimes et bordée d’une margelle où naguère avait retenti le battoir des laveuses de linge. Et ailleurs mais dans un même silence, se montre une cour pavée où entraient les attelages ayant remises et écuries. Or, les hennissements manquent aussi bien que le cri d’un coq. Un chien tout de même donne de la voix, celui d’un habitant en jean et en baskets passant d’une porte à l’autre dans une rumeur de foot évadée des téléviseurs. Seuls ses yeux par-dessus le masque nous adressent un sourire qui paraît fataliste.

Au chemin de notre retour, l’humble poste-télégraphe-téléphone dont on devine l’enseigne paraît garder sa place dans l’attente d’une résurrection mais sa boîte a été muselée comme la voix de la postière que rythmait autrefois l’ardeur de son tampon. Une postière qui peut-être n’était qu’un postier. L’un ou l’autre a pris sa retraite depuis vingt ans au moins. Et un rêve nous effleure soudain, celui de louer cette poste et son logement, retraite inemployée qu’on devine a l’étage. De là, sans ambition, mais prolongeant un rêve, on pourrait composer encore et à n’en plus finir d’autres Lettres du Livradois.

J.G.